Performance, représentation et paradigme théâtral dans la sociologie goffmanienne. De la métaphore dramaturgique au concept sociologique, ou : ce que la métaphore théâtrale permet de penser en sociologie
The presentation of self in everyday life (1956/1959) développait ce que Manning a qualifié en 1988 de métaphore théâtrale : la présentation de soi dans la vie quotidienne y était explicitement pensée comme performance d’un acteur ou d’une équipe d’acteurs face à un public, les lieux y étaient décrits comme scènes (jouxtant des « coulisses », lieux cachés à la vue du public où les acteurs préparaient leur représentation), les agencements d’objets y étaient conçus comme décors, accessoires, costumes, les interactions comme trames narratives, etc. Or, de nombreux commentateurs se contentent de constater l’existence de cette approche, d’en expliciter les détails et de signaler qu’elle coexiste chez Goffman avec d’autres approches – rituelles, stratégiques, voire cinématographiques et éthologiques. Pourtant, ces modèles sont toujours explicitement présentés comme limités – ils servent avant tout à approcher certains objets, à mettre en relief certaines de leurs propriétés, et ont vocation à être dépassés. Il s’agira de démontrer que l’approche dramaturgique goffmanienne ne prend tout son sens que si elle est lue comme propédeutique à une théorie de l’identité sociale entendue comme processus multiple et protéiforme, comme « performance » nécessairement produite en situation et ratifiée par et à travers le regard d’autrui – théorie que développe en termes conceptuels Frame analysis. On verra par ailleurs cette théorie s’appliquer à un objet particulier, à savoir l’analyse des stéréotypes de genre et de leur rôle dans la construction relationnelle de l’identité réflexive, telle que la propose Gender advertisements – ouvrage qui consiste en analyses détaillées de photographies publicitaires mettant en scène des relations genrées, perçues comme révélatrices de ce qu’il conviendrait d’appeler un répertoire dramaturgique des attitudes genrées au sein d’une société donnée. On posera à travers ce cheminement la question suivante : qu’est-ce que la métaphore théâtrale peut apporter à notre compréhension du monde social, et plus particulièrement du caractère « performé » des relations sociales ?
Ancien élève de l’ENS de Lyon, agrégé de philosophie, doctorant contractuel à l’ENS de Lyon et moniteur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3, Simon Lanher prépare une thèse en philosophie des sciences sociales sous la direction de M. Claude Gautier portant sur la notion d’esprit dans la tradition sociologique de Chicago. Il a travaillé sur le tournant pragmatique de Boltanski et Thévenot ainsi que sur l’introduction de la philosophie pragmatiste en sociologie française.