L’idée de « liminalité » dans la dramaturgie et la performance.
Il s’agit de montrer que la dramaturgie et la performance sont des pratiques de l’émancipation qui ne font pas l’économie d’une référence et d’une réflexion identitaire, d’un sujet porteur de processus de reconnaissances culturelles vers une dimension expérimentale dans laquelle se construit ce que Homi Bhabha nomme les « terrains d’élaboration des stratégies du soi ». Ces espaces, où s’élaborent les positions de l’artiste, émergent dans les moments où changent les modalités d’assemblage de binômes sur lesquels l’individu (le dramaturge ou le performeur) se définit résistant et/ou réductible à toutes formes d’assimilation : altérité/identité, passé/présent, intérieur/extérieur, inclusion/exclusion, masculin/féminin, noir/blanc et même relation artiste/spectateur… Le spécialiste du postcolonialisme analyse en effet cet espace comme celui du devenir « tiers-espace », dans lequel le sens et les symboles culturels n’ont pas d’unité et de fixité. Ces signes peuvent être traduits et réinterprétés dans un processus de relation dynamique : « …peut-être faudrait-il, dira sur ce point Victor Turner, que nous ne nous contentions pas de lire ou de commenter des écrits (ethnographiques), mais de les mettre en scène (perform) », donc de les mettre en jeu dans un échange performatif.
L’anthropologue Turner avait nommé ce « tiers-espace » de la performance, « liminal » (ce que Richard Schechner a appelé « entre »). Turner avait réagi, lors de la naissance des Performance Studies, à la sclérose que constituait le champ de sa discipline. C’est à ce moment qu’il initia une nouvelle méthode nommée Social Drama Analysis, en évoquant l’idée que les cérémonies traditionnelles pouvaient être rapprochées de nos rites modernes et contemporains. En cela, il inaugurait une approche novatrice, passant d’une anthropologie du rite à une anthropologie de la performance, tout comme Bhabha a instruit ce nouvel espace de « négociation », défiant tout antagonisme. Nous fonderons notre analyse d’une part sur deux exemples précis et, d’autre part, sur les écrits de Victor Turner (The Anthropology of Performance, 1987), de Susan Broadhurst (Liminal Acts. A Critical Overview of Contemporary Performance and Theory, 1999) et des récentes problématiques proposées par Bernard Müller (revue Communications n° 92/2013).
Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure (Fontenay Saint-Cloud), Isabelle Barbéris est Maître de conférences en arts du spectacle à l’université Paris Diderot et chercheuse associée au CNRS. Auteure de Théâtres contemporains. Mythes et idéologies (Presses universitaires de France, 2010), de L’Economie du spectacle vivant (avec Martial Poirson, Presses universitaires de France, 2013), elle a coordonné des ouvrages collectifs sur le kitsch dans les arts scéniques, le parasite au théâtre, l’archive dans l’art performance. Elle travaille en ce moment avec la performeuse Emmanuelle Raynaut et dirige le pôle français du projet européen de recherche-création « Crossing stages ». Ses travaux se portent aujourd’hui sur le « pré-performatif ».
Olivier Lussac est professeur au départements Arts de l’Université de Lorraine. Il enseigne les questions théoriques autour de l’art contemporain, notamment celle concernant la performance. Il a publié Happening & Fluxus en 2004 (Paris, CNRS/L’Harmattan) et Fluxus et la musique en 2010 (Dijon, CNRS/Les Presses du réel).